Bruxelles n’a jamais été une ville flamande. A l’instar de Louvain, d’Anvers, de Lierre, de Turnhout, de Breda, de Bois-le-Duc, de Tirlemont, de Léau, de Nivelles , Bruxelles était et est en fait une ville brabançonne. C’est précisément pour cela que Bruxelles est restée bien plus néerlandaise que les villes originellement flamandes comme Bruges, Gand et Ypres.
C’est qu’en Flandres, qui dépendait de la France, le français était bien plus présent qu’au Brabant qui appartenait depuis le Moyen Âge à l’empire germanique.
Pendant le gouvernement bourguignon (1406-1482) un nombre restreint de nobles et de courtisans s’établirent à Bruxelles. L’administration des Bourguignons – qui régnaient également sur la Hollande, la Zélande et la Frise – se faisait en français.
Cela donnait lieu à une sorte de « sensibilité linguistique », comme le prouve l’affirmation (en 1488) du chroniqueur français Jean Molinet disant que les Bruxellois haïssaient les Wallons et les Français pour leur langue…
En 1482, les Habsbourg prirent le pouvoir aux Pays-Bas. Tant les Habsbourg espagnols (1482-1713) que les Habsbourg autrichiens(1713-1794) y maintenaient le français comme langue administrative privilégiée dans les institutions centrales.
Celles-ci se trouvaient en bonne partie à Bruxelles depuis 1531. Cependant, très peu de Bruxellois étaient en contact direct avec la cour princière, ou avec le Conseil d’Etat, le Conseil Secret et le conseil des Finances.
Si contact il y avait avec l’administration, il s’agissait pour ainsi dire toujours du collège des échevins et des jurés. Or la langue véhiculaire de l’administration communale comme celle des autres institutions locales (métiers, chambres de rhétorique, églises, couvents, hôpitaux et hôtels-Dieu) est restée le néerlandais jusqu’à l’occupation française (1792-1815).
Vers 1740 le philosophe français Voltaire déclara, indigné, ‘Le diable, qui dispose de ma vie, m’envoie à Bruxelles et songez, s’il vous plaît, qu’à Bruxelles il n’y a que des Flamands’.
Evincement social
Aux dix-septième et dix-huitième siècles, le prestige du français était considérable dans toute l’Europe. Dans les Pays-Bas méridionaux, nombre de bourgeois cossus essayaient d’imiter le style de vie français
C’est ainsi que l’empereur Joseph II disait que « les habitants de Bruxelles et des Pays-Bas sont des imitateurs de leurs voisins. Le fond est hollandais (sic) et le vernis français. »
Dans son célèbre traité « Verhandeling op d’Onacht der moederlijke Tael in de Nederlanden » (1788), l’avocat bruxellois J.B.C. Verlooy nota que 95% de la population bruxelloise parlait le néerlandais.
A la veille de l’occupation française (1792), quelque 5 % de francophones habitaient Bruxelles. Il s’agit principalement de nobles et de bourgeois opulents qui ont pris résidence dans le quartier du Coudenberg et du Sablon. C’est précisément dans cette « Hoffwijck » (quartier de la cour) que furent exécutés dès 1775 de grands travaux d’infrastructure. Les Habsbourg autrichiens ont fait démolir les ruines du palais détruit en 1731. Verlooy observait personnellement comment un quartier exclusif se constituait tout près de la Place de Lorraine (l’actuelle Place Royale).
L’administration centrale mit en vente toute une série de terrains. Les prix des parcelles autour du nouveau parc étaient excessivement élevés. Un Bruxellois moyen devait faire son deuil de tout achat de lot à construire. Seuls les nobles et les bourgeois opulents étaient en mesure de le faire.
Ce qui est également remarquable, c’est que la moitié de tous les actes de vente de maisons et de terrains près du parc étaient passés en français. Les transactions de ce genre se passaient en néerlandais partout ailleurs à Bruxelles. Bref, à la fin du 18ième siècle, Verlooy était témoin d’un bel exemple d’évincement social.
Verlooy, intellectuel socialement ému, se révolta. Il refusait d’accepter ce procès « naturel » où le plus puissant supplantait le plus faible.
Cette révolte cadre parfaitement dans la maîtresse idée de sa « Verhandeling » : les gens ne participent pleinement à la gestion de leur pays que s’ils sont à même de le faire sans problèmes dans leur langue maternelle. En d’autres mots : la démocratisation requiert la revalorisation de la langue et de la culture propres, bref de l’identité nationale.
En 1792, quatre ans à peine après la parution de la Verhandeling de Verlooy, les Pays-Bas méridionaux sont envahis par les armées françaises. En 1795, c’est l’annexion pure et simple par la France. Le gouvernement français aura plus de vingt ans (1794-1815) pour mener une politique systématique de francisation.
Les fonctionnaires francophones formés à cette époque joueront un rôle politique de premier plan dans le Royaume de Pays-Bas (1815-1830). Ce sont eux qui étaient au premier rang dans la lutte contre Guillaume I.
Ce souverain « hollandais » essaya de rendre au néerlandais sa place légitime dans les Pays-Bas Méridionaux pour amener ce territoire au même niveau que les Pays-Bas Septentrionaux, indépendants depuis 1585. Guillaume I n’a pu réaliser son but.
En 1830, l’Etat Belge se réalisa par un mouvement séparatiste.
La Belgique indépendante
Après 1830, Bruxelles devint la capitale de l’Etat Belge centralisé.
Moins d’un pour cent de la population avait un droit de suffrage : seuls ceux qui étaient suffisamment riches et qui payaient assez d’impôts (le suffrage censitaire).
Ce système non démocratique permettait à la bourgeoisie de dominer le pays entier. La langue commune de cette couche sociale aisée était le français, même dans la partie néerlandophone de Belgique.
La bourgeoisie n’a pas hésité une seconde : la langue véhiculaire de la nouvelle Belgique devait nécessairement être le français. Ils considéraient le ‘flamand’ comme un ramassis d’effroyables dialectes, sans aucune comparaison possible avec le français, seule langue de culture universelle. Il s’ensuivait donc que le français serait la seule langue officielle de la Belgique indépendante.
Ce faisant, les détenteurs du pouvoir niaient l’existence séculaire d’une langue administrative néerlandaise disponible.
Jusque dans les recoins de la Campine et de Flandre Occidentale, les hommes au pouvoir nommaient des fonctionnaires pratiquant à peine, voire pas du tout, le néerlandais.
Cependant, le régime belge n’avait pas consciemment l’intention d’extirper le néerlandais : l’occupant français n’avait-il pas constaté entre 1792 et 1815 qu’une telle politique générait une forte résistance, précisément à Bruxelles.
C’est pourquoi les nouveaux détenteurs du pouvoir en Belgique s’y prirent de façon bien plus habile. Ils brandirent de nobles principes du type « droits de l’homme », et « liberté linguistique ». Les citoyens devaient être « libres » pour parler « la langue de leur préférence ».
Compte tenu des rapports des forces en Belgique, une telle « liberté » ferait que dans les plus brefs délais le français allait prendre le dessus un peu partout. Cela, la bourgeoisie ne le savait que trop bien.
Au demeurant, cette prétendue liberté (en fait le droit du plus fort) ne fonctionnait pas seulement au niveau de la langue, mais également dans d’autres domaines de la vie sociale.
Ainsi, entrepreneurs et industriels devaient pouvoir agir « librement » et sans contrainte. C’était la seule façon possible de générer un bénéfice maximal. Que les ouvriers devaient trimer dur pour un salaire de misère était absolument négligeable. On pouvait même considérer cela comme positif. Ainsi, le politicien catholique Woeste trouvait indispensable qu’il y eût des pauvres. Cela permettait aux riches de donner libre cours à la vertu de charité…
Les esprits éclairés ne s’embrassaient pas une telle logique. Ils ambitionnaient une société démocratique. Comme Lacordaire, le dominicain et grand orateur français, ils se rendaient parfaitement compte que – au vu des rapports de force inégaux - la prétendue liberté mettait le plus faible hors jeu. Dès 1848, Lacordaire déclara : « Entre le faible et le fort, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ».
Voilà pourquoi les démocrates insistaient sur une législation qui devait réprimer l’arbitraire des plus forts.
C’est bien cela qui constituait, aux yeux de la bourgeoisie francophone, une atteinte évidente aux ‘droits de l’homme’, une violation manifeste de la ‘liberté’. Pendant plusieurs années la Belgique allait connaître la plus grande liberté linguistique. Au nom de ce noble principe, les néerlandophones allaient être administrés dans une langue qu’ils ne comprenaient pas. L’administration, l’enseignement et la justice se faisaient pour une bonne partie en français.
Même les inscriptions dans les villes comme Anvers, Louvain, Lierre, Gand, Bruges, Courtrai, Hasselt étaient rédigées en français. La population locale devait accepter qu’il y eût des juges, des receveurs des impôts, des chefs de gare unilingues francophones. Les simples gens devaient déjà se considérer heureux quand on leur accordait quelques facilités en « vloms ».
Cependant, les détenteurs du pouvoir belges se gardaient bien d ’offusquer outre mesure les Brabançons, les Flamands et les Limbourgeois. De temps à autre ils décernaient même des prix pour des concours en ‘flamand’. Tant que cela se limitait au folklore ou à la couleur locale, leur position de pouvoir ne courait aucun risque.
Tout laissait d’ailleurs prévoir que ‘le flamand’ s’éteindrait en quelques années, comme en Flandre française. La classe dominante feignait une grande générosité. En fait elle nourrissait, pour le commun des hommes et pour sa langue, un mépris frôlant le racisme.
La première vague de francisation à Bruxelles.
A Bruxelles, le centre du pouvoir par excellence de la Belgique francophone, il existait plus qu’ailleurs, un besoin urgent d’employés d’expression française.
Non seulement les ministères et l’administration centrale avaient besoin de personnel qualifié, mais également les banques, les compagnies d’assurances, les imprimeries, les maisons d’édition et d’autres entreprises. D’innombrables Wallons trouvaient du travail à Bruxelles, de même qu’un grand nombre de Flamands (souvent déjà plus ou moins francisés).
Dans le courant du dix-neuvième siècle, et à l’instar d’autres centres européens, Bruxelles connut une remarquable croissance de la population. Dans des villes comme Gand et Liège se créaient de grandes usines employant des centaines d’ouvriers. Une telle industrialisation massive ne se réalisait pas à Bruxelles. A l’exception de la commune de Molenbeek, on y voyait apparaître des entreprises plutôt petites et artisanales.
La bourgeoisie de la capitale ne se voyait dès lors pas confrontée à un prolétariat combatif. Le commun des mortels bruxellois ne rêvait pas d’une révolution violente. Bien au contraire, les couches sociales inférieures respectaient la classe aisée. Ils essayaient, autant que faire se pouvait, d’imiter les classes supérieures. La maîtrise du français était un argument essentiel pour prouver qu’on avait réussi sa vie.
Quiconque voulait monter sur l’échelle sociale se devait de faire en sorte qu’il s’exprimât en français aussi vite que possible. La maîtrise de cette langue – même ‘à la Beulemans’ – était la condition absolue pour toute promotion sociale. Tant les Bruxellois autochtones que les immigrés originaires du Brabant, de Flandre et du Limbourg s’entendaient rappeler en permanence qu’ils ‘devaient savoir leur français’. Par ailleurs, bon nombre de ces ‘nouveaux Bruxellois’ étaient déjà tant soit peu francisés dans leur région d’origine.
Malgré la pression sociale, la majeure partie des Bruxellois est longtemps restée néerlandophone. Le recensement linguistique de 1846, exécuté par les fonctionnaires de la Belgique francophone, le prouve indiscutablement. Ils avaient tout intérêt à gonfler le nombre des francophones. Cela n’empêchait qu’en 1846 60,28% de la population bruxelloise parlait toujours le néerlandais.
La francisation des couches plus vastes de la population n’allait se réaliser qu’à la fin du 19ième siècle, à la suite d’énormes travaux d’infrastructure. Entre 1866 et 1893, Poelaert réalisa le gigantesque Palais de Justice sur l’ancienne montagne des potences. D‘innombrables maisons de gens simples étaient rasées sans plus. Leurs habitants n’avaient qu’à s’installer ailleurs.
A partir de 1867 le même phénomène se manifesta sur les rives de la Zenne. Le bourgmestre Jules Anspach avait décidé de réhabiliter la ville basse. Non seulement la Senne fut voûtée (1867-1871), mais on traça de nouveaux boulevards le long desquels s’érigeaient d’imposantes maisons bourgeoises et de luxueux magasins à la parisienne.
Dans le centre-ville rénové, le Bruxellois qui y vivaient depuis longtemps, n’avaient plus de place. Ils devaient s’exiler dans des communes populaires moins centrales. Certaines étaient encore rurales (Anderlecht). D’autres (Molenbeek Saint Jean) hébergeaient une population ouvrière modeste.
L’immigration de ces semi-francisés sapait le caractère flamand de ces villages. Quelque cent ans plus tôt, Verlooy avait été témoin d’un exemple typique d’éviction sociale dans le quartier du Coudenberg et du Parc. Un processus comparable se répétait – sur une échelle bien plus importante - dans la ville basse et dans les Marolles. Une fois de plus, ce furent les Bruxellois autochtones qui payaient les pots cassés. La francisation faisait tache d’huile.
Le Mouvement Flamand
C’est surtout à la fin du dix-neuvième siècle que des intellectuels socialement engagés se battaient pour le reconnaissance du flamand à côté du français. Somme toute, ces flamingants se conduisaient en super-patriotes belges. Ils étaient d’ardents partisans d’une Belgique bilingue.
Il s’avéra bientôt que les francophones n’en voulaient pas. La Flandre devait être bilingue, mais en Wallonie ‘le flamand’ n’avait pas de place. Jules Destrée écrivit, littéralement, que les Wallons ressentaient ‘une répugnance instinctive et profonde’ pour cette langue.
La dite ‘Vlaamse Beweging’ a dû lutter pendant plusieurs décennies pour ce droit élémentaire de l’homme qu’un peuple peut être administré sur son propre territoire, dans sa propre langue par des gouvernants élus démocratiquement.
C’est surtout depuis la fin du dix-neuvième siècle que les néerlandophones ont réussi à forcer un nombre de lois linguistiques. Leur application laissait beaucoup à désirer. Les francophones se rebiffaient tout le temps contre cette atteinte intolérable à la ‘liberté’. Ils soupçonnaient même les néerlandophones de tenir un agenda secret. Ils tendraient en réalité à ‘faire éclater le pays’. Cet argument était totalement dénué de sens, puisque, surtout à cette époque, c’étaient les néerlandophones les patriotes belges par excellence.
En outre, les premières lois linguistiques ne concernaient souvent pas Bruxelles, encore qu’elles y fussent nécessaires. Bien pire encore : pour faire approuver les lois linguistiques au parlement belge, les flamingants faisaient à maintes reprise des concessions aux francophones de Bruxelles et des environs. Bruxelles était de plus en plus lâché et livré à la francisation. Bref, la Flandre s’émancipait aux frais de Bruxelles.
Quoique la majorité de la population bruxelloise fût longtemps encore néerlandophone, même les Flamands bruxellois considéraient la capitale comme une ville mixte où la liberté linguistique était de mise. Ils avaient l’ambition de convertir les unilingues flamands en parfaits bilingues. Par voie de conséquence, les francophones étaient de moins en moins disposés à apprendre le néerlandais. A chaque occasion l’argument était le même : ‘Mais puisque toi, tu parles français, pourquoi moi j’apprendrais encore le flamand ?’.
Du reste, il s’avérera bientôt qu’un autre développement comportait une plus importante menace pour l’unité de la Belgique. Il s‘y profilait une bipartition socio-économique de plus en plus grande. La Wallonie connut une première industrialisation à la fin du 18ième siècle. La Flandre – appellation de plus en plus usitée à la fin du 19ième siècle pour désigner la partie néerlandophone de la Belgique – est longtemps restée plutôt agricole.
Cette différence économique avait également des conséquences sociales et politiques. Dans les grandes entreprises wallonnes se constituait un prolétariat ouvrier militant. Le parti socialiste avait une prise importante dans de larges couches de la population.
La Flandre, encore majoritairement agricole, avec des entreprises plutôt de moindre envergure, était moins réceptive au socialisme. Les Flamands déléguaient plutôt des catholiques et des libéraux au parlement et aux conseils communaux.
Le suffrage universel plural
Pendant longtemps, le Mouvement Flamand ne s’est intéressé qu’à la langue et à la culture. Ses dirigeants – issus le plus souvent de la petite bourgeoisie –accordaient moins d’attention à la problématique sociale.
Ce n’est qu’à la fin du 19ième siècle que des gens comme Lodewijk De Raet, Julius McLeod et Daens se rendirent compte qu’il y avait un lien entre ‘l’intérêt linguistique’ et ‘l’intérêt matériel’.
Provisoirement les néerlandophones n’avaient qu’une importance politique restreinte. Les larges couches de la population n’avaient pas le droit au suffrage. Les politiciens élus dans la partie néerlandophone de la Belgique ne tenaient pas trop compte des exigences flamandes, d’autant que beaucoup de ces parlementaires appartenaient toujours à la bourgeoisie francophone.
En 1893 – surtout sous la pression des socialistes wallons – fut introduit le suffrage général plural. Cette réforme constitua une impulsion importante pour le Mouvement Flamand. Le commun des mortels venant d’acquérir le droit au suffrage, les politiciens se devaient de tenir compte de la population votante. En outre, ils étaient obligés – ne fût-ce que pour être élus – d’entrer en contact avec leurs électeurs potentiels dans une langue que ces gens pouvaient comprendre. Les conséquences ne se firent pas attendre. Cinq ans à peine après l’introduction du suffrage général plural, le parlement belge vota, sous la pression flamande, la dite Loi d’égalité (1898).
Voilà qui fut un coup dur psychologique pour les francophones. La Belgique n’évoluerait donc pas dans le sens un pays unilingue français, ce qui était leur rêve depuis toujours. On retrouve des échos de cette frustration dans la fameuse Lettre au Roi (1912) de Jules Destrée : « Ils nous ont pris la Flandre ». A l’heure qu’il est, ce traumatisme marque toujours la psychologie des francophones.
La première guerre mondiale (1914-1918) n’a fait qu’exacerber les oppositions entre francophones et néerlandophones. Dès le début de la guerre, les francophones déclaraient triomphalement : ‘Après la guerre on ne parlera plus flamand !’ Dans les tranchées de l’Yser, les simples conscrits flamands constatèrent concrètement ce que la Belgique francophone pensait d’eux. Ceux qui survécurent à la guerre n’ont pas manqué de raconter leurs expériences au retour.
De plus en plus de gens se sont rendu compte que le Mouvement Flamand n’était pas le violon d’Ingres un peu déphasé d’un groupuscule romantique d’amateurs de la langue. L’opinion publique se radicalisait de plus en plus.
L’enseignement obligatoire en Flandre …
Mais en 1914, il s’était passé autre chose qui allait avoir un impact énorme sur la question des nationalités en Belgique. C’est cette année que le parlement vota la Loi sur l’enseignement obligatoire ; en Belgique, cela se fit comparativement très tardivement, d’ailleurs.
L’approbation de cette loi se heurta par ailleurs à une résistance farouche des conservateurs. Pour eux, le caractère obligatoire de l’enseignement était en contradiction avec le concept de ‘liberté’. C’était une atteinte patente aux droits de l’homme : on ne pouvait tout de même pas forcer un père de famille à envoyer ses enfants à l’école, le chef de famille devait avoir la liberté de faire de ses enfants des analphabètes !
Tant que la scolarité obligatoire n’existait pas, le français ne pouvait pas atteindre de larges couches de la population. Cela a eu des conséquences très importantes. Historiens et sociologues partagent la conviction que, si on avait imposé la scolarité obligatoire en Belgique dès 1830, toute la Belgique néerlandophone aurait été francisée en profondeur à l’heure qu’il est. A cette époque le Mouvement Flamand manquait manifestement d’influence et la dominance du français était écrasante. Si on avait introduit l’enseignement obligatoire (en français, s’entend), tous les dialectes flamands auraient été éradiqués au plus vite.
En différant aussi longtemps l’introduction de l’enseignement obligatoire, les détenteurs du pouvoir francophones ont raté l’occasion de supprimer définitivement le néerlandais. En 1914, il n’était en effet plus possible de faire se dérouler la vie publique exclusivement en français.
Quelque faible qu’il fût encore à la veille de Première Guerre Mondiale, le Mouvement Flamand n’en avait pas moins obtenu quelques modestes résultats. Les premières lois linguistiques – pour imparfaites qu’elle fussent – avaient déjà, dans une certaine mesure, préservé l’existence du néerlandais..
Grâce à l’introduction de la scolarité obligatoire tous les enfants de six à douze ans étaient scolarisés. En Flandre, cet enseignement se faisait de plus en plus souvent en néerlandais. Les francophones ne réussiront pas, dans cette évolution, à bloquer la néerlandisation de l’enseignement supérieur (néerlandisation de l’université de Gand en 1930).
… et à Bruxelles
A Bruxelles, l’instauration de la scolarité obligatoire allait avoir des conséquences toutes différentes de celles qu’elle a eues en Flandre. L’enseignement s’y donnait ‘évidemment’ en français et dès lors la francisation des larges couches de la population pouvait aller bon train.
En moins de trois générations des familles néerlandophones se francisaient complètement. Le procès se schématise comme suit : Les grands parents ne parlaient que leur dialecte familier qui était brabançon, ils ne savaient guère le français. Pour assurer l’avenir de leur progéniture dans cette Belgique francophone, ils envoyaient leurs enfants dans des écoles de régime français. Ces garçons et ces filles recevaient donc toute leur formation en français. Avec leurs parents ils parlaient toujours en dialecte. Mais quand ils fondaient eux-mêmes des familles, les conversations dans les ménages se faisaient exclusivement en français. Concrètement il s’ensuivait que les grands-parents n’étaient plus à même de comprendre leurs petits-enfants.
Pour les adeptes de l’idéologie linguistique belg(icist)e, de telles situations navrantes ne faisaient aucun problème. Pour ces partisans de la ‘liberté linguistique’ c’était un processus tout à fait normal qui se déroulait.
En effet, le français était une langue universelle et supérieure, alors que ‘le flamand’ n’était qu’un ramassis de dialectes arriérés. Il n’était que justice que la langue supérieure supplantât la variante inférieure. Ce processus ‘naturel’ ne pouvait être perturbé par des mesures visant à protéger les socialement faibles. Voilà pourquoi des lois linguistiques, et à plus forte raison toute réforme sociale, étaient perverses. Vers 1900, un nombre de Wallons allaient même plus loin. Ils déclaraient que le retard des Flamands était l’effet fatal de ‘qualités inférieures de la race’.
La francisation de Bruxelles se renforçait continuellement de cette façon. Le phénomène n’était pas limité à la seule ville de Bruxelles. L’espace borné par la seconde enceinte de remparts (l’actuel « Petit Ceinture ») était bien vite urbanisée. L’intensification du trafic rendait le centre historique de moins en moins vivable.
La francisation, phase deux
Les bourgeois cossus se déplaçaient en grand nombre vers la banlieue verte de Bruxelles. Les spéculateurs immobiliers lotissaient à qui mieux mieux terres arables, pâturages et forêts en créant des terrains à bâtir. Les administrations communales installaient les réseaux d’égouts et traçaient des voiries. Elles accueillaient les immigrés francophones capitalistes à bras ouverts.
Rappelons que pas mal de ces villages brabançons étaient depuis plusieurs générations gouvernés par des barons et des comtes. Ces enthousiastes patriotes belges pouvaient maintenant faire fortune dans l’immobilier. Les fabriques d’église locales profitaient, elles aussi, de l’occasion.
Tout cela ne restait pas sans conséquences incalculables. Dans la grande banlieue de Bruxelles, la ségrégation tant sociale que géographique augmenta sensiblement. Il s’y développait une société duale. D’une part il y avait toujours les centre historiques des villages où résidaient les simples villageois brabançons dans de modestes maisons. D’autre part il s’était formé – complètement séparés du centre originel – de nouveaux quartiers résidentiels. Des francophones fortunés y occupaient des villas confortables. Ces immigrés ne cherchaient nullement le contact avec les autochtones . Ils se conduisaient un peu comme des ‘coloniaux’. L’idée ne leur venait jamais d’apprendre la langue des habitants autochtones.
La couche fortunée supérieure considérait comme évident de pouvoir s’exprimer partout et sans problèmes en français dans leur nouvelle commune, non seulement chez les commerçants locaux, mais également dans leurs contacts avec l’administration communale, avec la poste et avec les services des contributions. A chaque reprise, l’argument massif était ‘Mais nous vivons quand même en Belgique !’. C’est la preuve irréfutable que pour ces gens, la Belgique signifiait (et signifie encore) parler français un peu partout et sans aucune contrainte. La population subissait une pression sociale écrasante, et les conséquences n’ont pas tardé à se faire sentir.
Expansion territoriale
Il ressort des résultats des recensements linguistiques entre 1846 et 1947 que de plus en plus de villages brabançons dans la périphérie bruxelloise se sont urbanisés et ont été francisés. En très peu d’années le néerlandais s’est vu réduire à un statut inférieur.
Des communes comme Etterbeek, Uccle, Woluwe-Saint-Lambert, Woluwe-Saint-Pierre, Watermael-Boitsfort et Auderghem comptaient encore plus de 95% de néerlandophones en 1846. En 1947, ceux-ci étaient devenus une minorité opprimée.
Cependant, la francisation ne s’est pas répandue partout avec la même ampleur et à la même vitesse. Les communes habitées par beaucoup d’ouvriers (p.ex. Molenbeek-Saint-Jean, Anderlecht et Jette) sont restées plus longtemps néerlandophones. Il en était de même pour les communes plus rurales, telles que Evere, Ganshoren, et Berchem-Sainte-Agathe, qui n’ont été ajoutées à l’agglomération bilingue qu’en 1954.
Ce qui est clair, cependant, c’est qu’entre 1830 et 1954, la ‘liberté linguistique belge’ a réussi à détacher du territoire néerlandophone pas moins de 22 communes et à les doter d’un statut prétendument ‘bilingue’.
Bruxelles (ville) 450 ha
Laken 8925 ha
Haren 583 ha
Neder-Over-Heembeek 622 ha
Ixelles 647 ha
Saint-Gilles 250 ha
Etterbeek 316 ha
Schaerbeek 884 ha
Molenbeek-Saint-Jean 656 ha
Forest 624 ha
Watermael-Boitsfort 1.293 ha
Uccle 2.291 ha
Woluwe-Saint-Lambert 723 ha
Woluwe-Saint-Pierre 885 ha
Koekelberg 117 ha
Jette 526 ha
Evere 510 ha
Berchem-Sainte-Agathe 295 ha
Ganshoren 241 ha
Auderghem 903 ha
Saint-Josse-ten-Node 113 ha
Total 15.632 ha
En clair : en 1954, les néerlandophones avaient déjà cédé plus de 15.000 hectares de leur territoire. Ces 22 communes constituent aujourd’hui la Région Bruxelles-Capitale.
L’histoire ne se termine pas là. A l’occasion de la fixation de la frontière linguistique (1962-1963), les francophones ont, une fois de plus, fait jouer leur suprématie politique, socio-économique et culturelle.
Les néerlandophones (non les francophones) devaient une fois de plus, faire preuve de ‘bonne volonté’ et de ‘sens de la responsabilité’.
Le compromis de Val-Duchesse attribuait aux francophones de six autres communes brabançonnes des ‘facilités’.
Wemmel 874 ha
Wezembeek-Oppem 682 ha
Linkebeek 415 ha
Kraainem 580 ha
Rhode-Saint-Genèse 2.282 ha
Drogenbos 248 ha.
Total 5081 ha.
Non seulement les observateurs politiques, mais aussi les citoyens modaux se sont fait cette réflexion : des gens qui ont refusé pertinemment et systématiquement de s’intégrer voient ainsi récompensé leur comportement asocial et peu démocratique. En outre, il s’avéra que ces conditions ne contribuaient nullement à une solution, voire même à une meilleure entente.
Les six communes à facilités ont été francisées à fond dans les plus brefs délais. Depuis des années déjà, politiciens et presse francophones trouvent qu’il est scandaleux que ces communes appartiennent toujours au territoire linguistique néerlandais. L’exigence de les intégrer dans la Région Bruxelles-Capitale se clame de plus en plus.
Des revendications analogues sont actuellement formulées concernant toute une série d’autres communes : Dilbeek, Asse, Lennik, Sint-Pieters-Leeuw, Halle, Overijse, Londerzeel, Vilvorde, Grimbergen, Strombeek, Tervuren etc.
Dans un très grande région autour de la capitale, les prix toujours croissants des terrains empêchent les habitants locaux d’y rester. L’éviction sociale progresse de jour en jour. Il s’agit d’un phénomène qui ne se limite pas à la province du Brabant Flamand. Les provinces d’Anvers et de Flandre Orientale s’y voient également confrontés.
Nouvelles relations entre la Flandre et la Wallonie
Depuis les années 1920, le vent a tourné pour la Flandre et les relations entre la Belgique néerlandophone et la Belgique francophone basculent graduellement. Ceux qui avaient reçu leur formation scolaire en néerlandais n’acceptaient plus les discriminations qu’ils avaient endurées jusque-là. De plus en plus de gens réclamaient leurs justes droits dans les entreprises, dans l’administration nationale et en politique. La démocratisation s’intensifiait progressivement. Les francophones perdaient petit à petit leurs privilèges ; et leur frustration pour les positions de force perdues s’accroissait peu à peu.
Alors que la position du français s’effritait en ‘Flandre intérieure’, cette évolution n’a jamais connu son pareil à Bruxelles. En fait, ce sont les Bruxellois, toujours trop méprisés en Flandre, qui sont les premières et les pires victimes du régime le plus francisant que les Pays-Bas Méridionaux ont jamais connu : le régime belge.
Comme les Wallons continuaient à rejeter obstinément le bilinguisme en Wallonie, la Belgique est finalement devenue un pays à deux territoires séparés, l’un unilingue néerlandophone (la Flandre), un autre unilingue francophone (la Wallonie) ; un troisième territoire soi-disant bilingue (Bruxelles) complète l’image. Cette situation fut sanctionnée par la loi linguistique de 1932. A partir de cette date, le néerlandais allait devenir la langue officielle dans la partie néerlandophone de Belgique.
Après la seconde guerre mondiale le centre de gravité économique de la Belgique se déplaça de Wallonie en Flandre. Cela porta également un coup dur : les Wallons avaient méprisé les Flamands pendant des décennies. En outre ce déplacement comportait également des conséquences politiques d’importance. La Flandre n’était plus le parent pauvre ; elle réclamait sa place légitime dans l’ensemble..
Les ‘golden sixties’ intensifièrent le bouleversement des relations de force en Belgique. En 1963, la frontière linguistique fut fixée, cinq ans plus tard l’Université catholique de Louvain quitta la ville de Louvain pour s’installer en Brabant Wallon (1968).
La revendication d’une plus grande autonomie s’amplifiait, non seulement sur le plan de l’éducation et de la culture, mais aussi dans le domaine socio-économique.
La bourgeoisie francophone de Flandre accepta bon gré mal gré la perte de ses anciens privilèges. Un nombre d’entre eux déménagea, aigris et frustrés, en Wallonie ou à Bruxelles. Ils se souvenaient avec nostalgie de la Belgique d’antan. Cela leur inspira un belgicisme virulent dont les échos s’entendent encore constamment dans les medias francophones à l’heure qu’il est.
Une question de nationalités
En revanche, les Flamands n’ont jamais cherché à utiliser l’arme des représailles. Personne n’a jamais prôné d’infliger aux Wallons – à leur tour – un traitement comparable à la façon dont les francophones avaient traité leur compatriotes d’un autre régime linguistique. Les néerlandophones n’ont jamais promu le néerlandais à Tournai, à Namur, à Liège ou à Charleroi.
Ils n’ont jamais demandé que trois choses :
- Que les francophones cessent de revendiquer des parties du territoire néerlandophone.
- Que les droits des néerlandophones soit respectés à Bruxelles capitale
- Que les néerlandophones disposent de l’autonomie indispensable.
Cette autonomie devait leur permettre de développer une politique adaptée à leurs besoins et possibilités particuliers. Ce n’est qu’ainsi qu’ils allaient pouvoir contribuer à une plus grande prospérité et à un plus grand bien-être du pays entier. En clair, les Flamands restent toujours disponibles pour une solidarité qui soit raisonnable et transparente. Pour les francophones, cela était impensable. Ils ne parvenaient pas à se résigner aux relations sociales altérées, ni à la démocratisation.
Les besoins réels des Wallons modaux ne les intéressaient pas vraiment. Leur attention portait surtout la lutte dépassée pour les privilèges en faveur des francophones qui avaient abandonné la Wallonie pour aller s’établir à Bruxelles ou dans sa banlieue.
En outre, il fallait également conserver la ‘solidarité nationale’ sans aucune restriction, ce qui s’avérait de plus en plus difficile à cause de la crise économique qui se déclara au début des années 1970. La hausse des prix des combustibles, la concurrence, la mondialisation et le vieillissement de la population contraignaient les autorités à faire un usage très efficace des moyens dont elles disposaient.
Les contrastes séparant néerlandophones et francophones s’accentuent de plus en plus et ce, surtout dans les domaines qui n’ont rien à voir avec la langue.
A la fin du 20ième siècle, plusieurs études scientifiques ont mis à jour un autre fait encore. Les néerlandophones (les Flamands) et les francophones (les Wallons) ne parlent pas seulement des langues différentes. Ils adhèrent à des opinions divergentes au sujet de plusieurs problèmes sociaux (rôle des pouvoirs publics dans la politique économique, usage de l’assurance maladie et invalidité, questions éthiques, organisation de la justice et de la police) .
Ce n’est pas un problème linguistique qui divise la Belgique : il s’agit d’une question de nationalités.
Réformes de l’Etat
Si l’on veut maintenir le pays dans de telles circonstances, il faut des réformes institutionnelles radicales. Ce n’est qu’en attribuant aux francophones et au néerlandophones de plus grandes compétences qu’on pourra éviter au maximum les frictions pénibles.
Sous la pression d’une conscience politique croissante l’état unitaire belge a dû céder de plus en plus d’autonomie aux deux peuples qui vivent sur son territoire. Cette ‘révolution paisible’ s’est réalisée moyennant un nombre de réformes de l’état qui se sont d’ailleurs suivies à une cadence progressivement plus rapide.
La réforme de 1970-1971 conféra l’autonomie aux néerlandophones, aux francophones et aux germanophones. A peine dix ans plus tard, en 1980, la Constitution devait déjà être révisée. Il s’avéra assez rapidement que cette démarche n’allait pas suffisamment loin.
La réforme de l’Etat de 1988-1989 habilita la Flandre et la Wallonie dans les domaines de l’enseignement, de la culture, de la politique économique, de l’environnement des travaux publics et du transport. A cette occasion, la Région Bruxelles-Capitale fut – enfin – conçue officiellement.
La réforme de 1993 - la quatrième depuis 1970 – reconnaît expressément que la Belgique est un état fédéral où une grande partie du pouvoir est exercée par les Communautés (néerlandophone, francophone et germanophone) et les Régions (Flandre, Wallonie, Bruxelles).
Tant la Flandre que la Wallonie (et même Bruxelles) disposent d’un parlement directement élu. Ces institutions démocratiques sont dorénavant capables de prendre des décisions autonomes – sans intervention des autorités belges, non seulement en matière d’enseignement, de culture, d’économie, de travaux publics, de transport, mais aussi sur le commerce extérieur, le tourisme, l’agriculture et la politique scientifique.
En outre, la province de Brabant, bilingue, a été scindée le 1er janvier 1946, en une partie unilingue française et une partie unilingue néerlandaise. La Région Bruxelles-capitale constitue dès lors une enclave bilingue dans la nouvelle province – unilingue néerlandophone – du Brabant Flamand. Toutefois, l’arrondissement électoral Bruxelles-Hal-Vilvorde n’a toujours pas été scindé.
De très amples pouvoirs ayant été transférés du niveau fédéral aux états fédérés, la Belgique commence à prendre des allures confédérales. A Bruxelles, toutefois, la démocratisation n’a pas évolué de la même façon qu’ailleurs en Belgique.
Le ridicule ne tue pas
Peu à peu les Flamands affichèrent une certaine suffisance : ‘Nous voilà arrivés !’. D’aucuns trouvaient branché de s’apitoyer sur les ‘mesquines querelles communautaires’. Les politiciens devaient enfin s’occuper des ‘vrais problèmes des gens’.
Raisonnement curieux que celui-là ! En Belgique francophone, les socialistes et les écologistes n’ont jamais eu le moindre problème à militer sans cesse et avec insistance, en plus de leur programme spécifique, pour les privilèges des francophones en Flandre. Dans le Nord de tels soucis ne se manifestèrent guère.
La pénible formation du gouvernement après les élections du 10 juin 2007 mit à jour une immense désillusion. De plus en plus de néerlandophones commencèrent à réaliser à quel point la puissance et la prospérité de la Flandre sont vulnérables.
Malgré la fixation de la frontière linguistique, malgré le transfert de Louvain francophone en Wallonie, malgré une série de réformes de l’état, les francophones ne semblent toujours pas prêts à respecter les règles du jeu démocratique en parlant néerlandais dans la Région Flamande. Les néerlandophones de Wallonie eux, se sont depuis toujours intégrés sans problèmes, comme il se doit . L’inverse n’est pas vrai. En demandant des privilèges dans la Région Flamande, ce sont les francophones – et personne d’autre – qui créent ‘des problèmes communautaires’ . Ce qui est remarquable, car ce sont précisément les francophones qui prétendent que ce sont là de ‘faux problèmes’ qui nous empêchent d’affronter les ‘vrais problèmes’. Comprenne qui peut.
Mais la blague devient vraiment belge quand on considère ce qui suit. De plus en plus nombreux sont les Wallons qui se rendent compte qu’ils on besoin de connaître le néerlandais pour trouver du travail en Flandre et à Bruxelles. C’est pourquoi la Communauté Française investit pas mal d’argent dans des cours de néerlandais Et que se passe-t-il au même moment ? Eh bien, a cette même heure les immigrés francophones dans les environs de Malines , d’Alost et de Louvain refusent net de parler néerlandais avec leurs concitoyens. Il n’empêche que dans la banlieue bruxelloise ils pourraient avoir l’occasion rêvée d’apprendre le néerlandais sans frais et sans peine avec leurs voisins, leurs commerçants, leur administration communale, et j’en passe…
Ce qui ne gâte rien, c’est que précisément en s’intégrant, ils pourraient enfin donner un signe authentique d’un réel intérêt pur une Belgique viable.
Il ne s’agit en effet plus des six communes à facilités et de la grande banlieue de Bruxelles. Au seuil du 21ième siècle ce ne sont plus seulement des communes près de Louvain (Brabant Flamand) qui sont confrontées à l’évincement social, mais également des communes près de Malines (Province d’Anvers) et d’Alost (Flandre Orientale). A leur tour, ces communes risquent de subir le même sort qui a été celui de Bruxelles-Ville au cours du 19ième siècle.
En novembre 2004, les francophones exigèrent le rattachement de 40 communes à Bruxelles. Si cette exigence est accordée, ce ne sont plus seulement les habitants du Brabant Flamand qui seront pleinement confrontés à ces ‘faux problèmes’, mais également ceux de Flandre Orientale et d’Anvers.
Les gens perspicaces se rendent compte que ce qui se passe à Bruxelles et dans la banlieue pourrait, à très long terme, constituer une menace mortelle pour la Flandre elle-même.
Ce qui amène certains à une réaction très bornée : ‘ Laissons tomber Bruxelles et tous nos problèmes sont résolus’.
Or, c’est précisément l’abandon de Bruxelles qui créerait la base idéale pour saper la position du néerlandais dans toute la Flandre.
Quiconque prend au sérieux la démocratie et les droits de l’homme ne peut que s’opposer à une telle éviction sociale. Un ‘procès naturel’ d’une telle allure, où le plus fort opprime le plus faible est une négation patente de principes fondamentaux en démocratie.
La colonisation et le racisme ne sont pas compatibles avec la démocratie.
Traduction de : “ Wat met Brussel ? Uitdagende perspectieven voor de Hoofdstad, Leuven, 2008 (Davidsfonds) , p.11-29.